Ce projet double de l’atelier allemano-canadien Deadline est plus qu’un simple immeuble résidentiel sur un terrain intercalaire.
Slender/Bender est un exemple du dogme architectural berlinois, un symptôme de la vitalité d’une scène jeune qui passe outre au strict style néo-prussien ayant fait loi dans la capital allemande. Slender/Bender, c'est un urbanisme conçu par des personnes dégourdies pratiquant l'entraide dans les temps difficile. Slender/Bender, c’est la tentative de réconciliation de l’urbanisme classique avec une architecture contemporaine. Slender/Bender, c’est le symbole de la réintégration de Berlin dans le développement architectural international.
L’emplacement, dans le district central de Mitte, n’aurait pas pu mieux convenir pour un si brillant début. Une courbe qui apparaît dans la très fréquentée Hessische Strasse, puis dans l’allée menant à la cour de l’immeuble voisin : la structure semble presque tenir toute seule. Selon les directives officielles, il n’était pas permis de construire ici un bâtiment d’envergure : la réglementation de l'héritage architecturale et le plan d'aménagement de la mairie du district prescrivaient un maximum de deux étages. De plus, le précepte esthétique du célèbre Planwerk Innenstadt (plan d'aménagement urbain) de Berlin imposait un bâtiment de pierres avec une façade classique en trois parties. Mais Deadline se servit de la tension née de la rencontre de cette jungle bureaucratique kafkaïenne et de ses propres objectifs pour donner jour à la puissance subversive de la pensée libre et créative : quatre ans de conception furent suivis d'une année de construction, tout cela résultant en un bâtiment dont les espaces incarnent les ambitions de ses créateurs.
La fière structure de six étages, avec son extérieur au galbe délicat, est revêtue de bandes d'acier inoxydable qui la divisent en une sculpture architecturale en trois parties. Inhabituellement grandes pour Berlin, des fenêtres ouvrent la large façade jointe au bâtiment comme une énorme baie vitrée. Les croisillons et les panneaux sont fait d’aluminium anodisé couleur or. Cela reflète un plaisir du matériau qui semble être en train de s'établir comme référence en cette période tardive de modernisme d’après-guerre (au delà du look rétro cher à la ville). Le léger décalage des tranches polies de Bender est le résultat de la première phase du projet double complétée deux ans auparavant : la rénovation d'un fragment de bâtisse très éloignée de la rue. Une courbe dans l'aile latérale fournit l’angle à partir duquel s’échappe la nouvelle structure.
En plus de rénover ce qu’il restait de cette bâtisse, Deadline ajouta deux étages. Pour cette partie du projet, les architectes durent se faire entrepreneurs ; ce fut pour eux l’occasion de donner libre cours à leur vocabulaire formel. À l’appartement sur trois étages de l'équipe que forment Britta Jürgens et Matthew Griffin fut donné un nom de projet distinct, Slender, qui dit la forme allongée de l'appartement sur le toit de la structure originale. Tout y est étiré en longueurs, les chambres et les espaces ouverts s'alignant comme une longue chaîne ; le visiteur y est constamment en mouvement, explorant les profondeurs de la maison, grimpant le long escalier menant aux étages supérieurs – un jardin miniature sur le toit, une plateforme suspendue dans la chambre, un balcon en saillie.
Ensuite vint l’idée d’acheter la parcelle de terrain proche de la rue afin d'y construire un nouveau bâtiment dans lequel ces motifs pourraient être utilisés et étendus. D'entrepreneurs, les architectes se firent investisseurs, contemplant au début l'idée d'un immeuble de bureaux. Mais lorsqu'une étude de marché leur fit comprendre que la situation à Berlin ne permettait pas la création de nouvelles propriétés commerciales, Deadline changea de plan et transforma Bender en un immeuble résidentiel. Alors que la construction était en cours, l’équipe eut l’idée de commercialiser les huit appartements de 40 à 50 m2 en ‘mini-lofts’. À présent les investisseurs étaient des hôteliers. L'ameublement des chambres (dont les généreux 3 mètres 80 de plafond reflètent les proportions du bâtiment ancien) suit un modèle à la mode plutôt simple. Les salles de bain, les meubles de marque Ikea et autres soulignent en permanence le style sobre, non prétentieux et pratique que suggèrent les sols de béton, le grillage des fenêtres et les mur, les montants et les plafonds de béton apparent ou d'enduit argileux.
Si Slender/Bender est tout en espaces fluides, en contours dynamiques et enveloppes de bandes d’acier, la forme du bâtiment semble aussi refléter l’esprit créatif de Deadline qui doit beaucoup à l'influence de la AA de Londres. Le dynamisme du bâtiment est en accord avec l'esprit de ses concepteurs, qui s'investirent tant dans le projet qu’ils en dépassèrent les limites de leur profession. Mais il ne s’agissait aucunement d’un éloignement permanent - en est témoin la décision du ‘bureau pour services architecturaux’ d’occuper les deux étages supérieurs de Slender.
Slender/Bender, Berlin, Christian Welzbacher, photographie: Klemens Ortmeyer, paru dans A10, numéro # 1, Decembre/Janvie 2004/05 (pp. 36–38)